10/11/2016

Robert Lefort à ses frères Africains : « L'Eldorado, c'est d'où je viens "


De son odyssée, ses souffrances, ses désillusions, Robert Lefort Ndegue, 30 ans, a tiré un livre chargé de tragique et de réflexion, sous un titre fort : « L'Eldorado, c'est d'où je viens ». Pas de malentendu : cet Eldorado n'est pas plus le Cameroun, son pays, que la France. C'est un territoire symbolique que l'on peut atteindre grâce à la culture de son enfance et de ses voyages, surtout intérieurs. Robert Lefort Ndegue poursuit une quête.



« J'essaie de voir mes erreurs, commence-t-il par dire ; je voyais mon avenir hypothéqué, j'ai choisi la facilité. » Dans le presbytère de Retiers, non loin de Rennes, où il est accueilli, Robert Lefort Ndegue panse lentement les maux qui l'assaillent toujours. Écrire est le meilleur remède qu'il ait trouvé. Il a raison. Il va déjà beaucoup mieux que le jour où il a écrit l'introduction à son livre : « Aujourd'hui, j'ouvre les yeux et je ne sais plus où je suis, ni qui je suis. Je suis perdu. »

Robert Lefort Ndegue est d'abord un fils perdu du Cameroun, ce pays riche qui mange ses enfants. Il est né en juillet 1986, dans le sud du pays, à Ebolowa.  « J'essaie d'oublier le mot misère, dit-il, mais comment oublier ce mot avec lequel j'ai grandi ? » La maman Cécile a cinq enfants de quatre pères différents et tente de faire survivre sa maisonnée.

« Elle devait se lever à 2 h du matin, elle partait deux heures plus tard aux champs récolter du maïs puis le braiser pour aller le vendre ensuite au coin de la rue.  Elle vendait aussi des beignets. Parfois la pluie, le vent cassaient son petit parasol. Vers 18 h on pouvait manger, faut voir ce qu'on mangeait... On nous appelait « la famille pauvre ». On avait perdu notre nom de famille. On était socialement rejetés.»

De la rue au BTS

La case familiale
Du toit de la case familiale, la pluie perle sur le sol en terre battu. Maman Cécile tombe parfois malade. Robert Lefort, 10 ans, se trouve un jour pied nus et en guenille dans la rue. Un père salésien (Don Bosco) passe. « Viens », lui dit-il et il part avec l'enfant voir la maman. Les pères salésiens sortent Robert Lefort de la misère. Grâce au parrainage d'un groupe d'Italiens, il entre en internat, fait des études, passe son bac. Le garçon est intelligent et pour les Salésiens une bonne recrue : sûrement il sera prêtre à son tour.

Mais devenir prêtre, est-ce la bonne solution pour soutenir la famille ? Robert Lefort préfère un vrai métier. Il fait un BTS de maintenance informatique et trouve un emploi dans une organisation qui vulgarise l'informatique dans les villages. Il en devient le directeur adjoint. Il a 20 ans, un avenir au pays. Un garçon et deux filles agrandissent peu à peu la grande famille de Cécile. 

Une marche de l'extrême de trois années

Quand le malheur soudain le rattrape : il est terrassé par un empoisonnement. La médecine moderne ne peut rien faire, les mois passent, il est en train d'agoniser quand des plantes le sauvent in extremis. Un peu plus tard, suite à un accident, une fracture mal soignée l'immobilise encore. Sa vie est en train de basculer.  

Elle bascule tout-à-fait le 15 mars 2009. La veille, sa petite cousine Mo'o, 2 ans, a été prise de fièvre. Toute la famille se mobilise. On va chercher de la quinine chez le marchand de médicaments. Celui-ci demande 13 500 francs CFA (quelque 20 €). Personne ne les a. A 4 h du matin, la petite Mo'o meurt.  « Ça m'a bouleversé, tout ce qu'on vivait dans notre famille... J'ai ressenti un ras le bol. Il fallait que ça change », lâche Robert Lefort.

Par un cousin, il prépare son départ vers l'Europe. A défaut de visa, il y aura une longue et dramatique marche. Le 10 avril 2010, il quitte Ebolowa en taxi brousse avec 7 500  euros qui vont fondre au fil des mois dans les mains des passeurs, "Hommes d'Affaires" et exploiteurs en tous genres. L'essentiel du livre est consacré à cette marche de l'extrême de trois années. Il y décrit les violences, la faim, la fatigue, les peurs, les morts,  le travail au noir pour survivre, la solidarité aussi entre migrants. En prison en Espagne, il commence à prendre des notes pour ne rien perdre de ce qu'il aura vécu. 

« Les gens ne veulent pas le croire »

Maman Cécile attend son fils...
En septembre 2013, un car Eurolines l'amène enfin jusqu'à Paris. La France. « Je me disais "C'est le seul pays où je trouverai un peu d'humanité. L'Eldorado." Mais mon Eldorado s'est effondré. » Une autre longue galère commence. A Paris, des passeurs lui conseillent d'aller plutôt en Normandie. Le voilà à Evreux. Puis à Rennes. Là, il rencontre par hasard dans la rue un autre migrant qui l'emmène à Retiers pour passer l'hiver. Il y est toujours.

La solidarité lui a permis au moins de conforter sa foi dans les êtres humains. « Contrairement à ce qu'on dit, je ne reçois aucune aide de l'Etat, tout ce que je reçoit, je l'ai du Secours Catholique. Quand je dis cela aux Africains, que je vis dans un presbytère, les gens ne veulent pas le croire. Je veux donner un signal fort : faire connaître mon témoignage en Afrique. » 

« Beaucoup de choses poussent les jeunes à quitter leur pays,
poursuit-il. Il y a une désinformation totale. On a appelé les pays pauvres le tiers monde. On ne dit pas que dans les pays riches, il y a des pauvres aussi, le quart monde. » Robert Lefort accuse les médias africains et les immigrés eux-même qui enjolivent leur parcours : « Ils mentent sur leur vécu quotidien » et plus que ça : « "Si je parle comme un Blanc, se disent-ils, je suis déjà chez les riches". Ils oublient qu'ils perdent leur identité, leur culture. »

La carte de séjour pour guérir

Alors, tout en faisant du bénévolat au Secours Catholique, auprès de personnes handicapées, dans une maison de retraite, Robert Lefort a écrit son livre en lui donnant ce titre : « L'Eldorado, c'est d'où je viens ». « Eldorado, qu'est ce que ça veut dire ? explique-t-il. J'ai regardé cette histoire mythique née en Amérique du sud en 1536 et je me suis dit "L'Eldorado, s'il existe, ne serait-ce pas d'où on vient ?" » Façon de dire que l'Eldorado est à rechercher en soi,  fort des richesses de sa propre culture. « Cet Eldorado, poursuit-il, c'est un état d'esprit qu'on laisse grandir en soi. En réalité, on peut faire de son milieu un Eldorado. Je suis parti de là. »

Aujourd'hui, il va avec son livre témoigner ici et là. Demain ? « Je peux décider de revenir au Cameroun mais il me faut d'abord obtenir la carte de séjour pour guérir les blessures du passé, de ce parcours où mon esprit reste emprisonné . J'ai besoin de la carte pour être libéré. Après, je rentrerai pour dire que la réalité est différente de ce qu'on raconte. » La carte en poche, quand rentrera-t-il ? Sa quête est loin d'être terminée :  il est en train d'écrire un second livre. 

Michel Rouger

« L'Eldorado, c'est d'où je viens ». - 10 €. Adresser la commande à Robert Lefort Ndegue, presbytère, 2 rue du colonel Deil, 35240 Retiers. Tél. 07 81 83 52 77


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